Nous avions consacré le mois dernier un article sous forme de classement à l'un des cinéastes chers à notre coeur, David Lynch. Nous recevions à l'époque certains de ses courts métrages, tous plus étranges les uns que les autres. Le simple fait qu'il soit signé par l'artiste suffisait à nous exciter.
Mais l'exercice du top ne convenait pas pour aborder l'oeuvre du plasticien. Nous avons donc décidé d'en faire un top labyrinthique, torturé, chaotique mais sous contrôle. Comme l'aurait envisagé le cerveau de Lynch. Finalement le plus bel hommage au maître.
3. BLUE VELVET (1986)
Blue Velvet gratte la surface des bourgades américaines et laisse surgir tous les insectes croulant dessous. Une enquête diabolique où se mêlent oreille coupée, récit d’apprentissage et émancipation, celle du personnage d’Isabella Rossellini, icône baignant dans les lumières bleutées d’un violent patriarcat. Pour l’accompagner, le jeune Jeffrey Beaumont vient éclipser cette violence d’une douceur et tendresse propres à la présence de son interprète Kyle MacLachlan. La muse de Lynch, jeune prince de son Dune, se mue ici en aîné spirituel de l’agent Dale Cooper qu’il campera plus tard dans la série culte Twin Peaks.
7. TWIN PEAKS, FIRE WALK WITH ME (1992)
1991. La saison 2 de l’ovni télé créé par David Lynch et Mark Frost s’achève. Mais après avoir déserté son terrain de jeu à la moitié de la saison, contraint de révéler l’identité du “coupable” par ABC, Lynch a senti qu’il n’en avait pas fini avec l’univers de Twin Peaks. Il fallait donc un film, ultime - du moins le pensait-on à l’époque - pour faire taire la bête au fond du cerveau du réalisateur de Blue Velvet. Avec Fire walk with me, il fait bien plus qu’un simple prequel à la série, il signe l’une des descentes aux enfers les plus marquantes de l’Amérique des années 1990.
4. SAILOR ET LULA (1990)
Palme d’or 1990, Sailor et Lula est l'œuvre de tous les superlatifs, tant dans l’amour explosif et halluciné du couple vedette que les interprétations habitées de Nicolas Cage et Laura Dern. L’ombre du Magicien d’Oz n’est jamais très loin dans cette course-poursuite effrénée à la gloire de toutes les passions. Un triomphe lynchien qui est également l'œuvre la plus optimiste de son auteur. Malgré ses sentiers sinueux, le film est revendiqué comme un conte de fées, dans lequel les personnages se haïssent et se célèbrent à pleins poumons, où le kitsch est porté haut comme un étendard de fierté et où Elvis Presley est déclamé comme une ode à l’amour absolu.
1. LOST HIGHWAY (1997)
Une chevelure lancée en arrière, en pleine jouissance, tandis que la voix éthérée d’Elizabeth Fraser, chanteuse des Cocteau Twins, entonne l’hypnotique Song to the siren ; puis, l’évidence d’une réplique, sentence qui conviendrait à toutes les héroïnes du réalisateur: “tu ne m’auras jamais”. Ainsi, lors d’une scène de sexe illuminée par les phares d’une voiture, naissait l'héroïne lynchienne la plus imprenable. Sous les traits de Patricia Arquette brûlait ce cygne massacré, poursuivi par son mari à travers rêves et désillusions. Bien plus qu’une chimère, la protagoniste de Lost Highway est une ode aux personnages féminins fulgurants qui traversent l’œuvre de David Lynch. En résulte une œuvre comme une virée en avant vers un cinéma machiste de petits couteaux et vestes en cuir que Lynch dynamite. Magnifiquement restauré en 2022 par Potemkine, on ne finit jamais de se perdre sur Lost Highway…
9. DUNE (1984)
S’il est un film que David Lynch voudrait oublier, c’est certainement celui-ci. La première adaptation du roman de Frank Herbert fut un immense échec critique et public. Le cinéaste déclare même ne pas avoir eu le final cut et avoir perdu toute liberté artistique sous le contrôle permanent des producteurs. Aujourd'hui réhabilitée pour son kitsch assez savoureux par un pan d'adorateurs, Dune reste l'œuvre la moins lynchienne qui existe.
6. UNE HISTOIRE VRAIE (1999)
Une Histoire Vraie est l'œuvre la plus ancrée du cinéaste, son titre ne faisant aucun secret. Narrant la traversée sur deux états d’un homme voyageant sur sa tondeuse autoportée afin de rendre visite à son frère malade, avec lequel il s’est brouillé dix ans plus tôt, le huitième film de David Lynch condense toute l’humanité du metteur en scène. Un film bouleversant, un angle rare sur la poésie du cinéaste, derrière les illusions du magicien.
2. MULHOLLAND DRIVE (2001)
Que diriez-vous d’un arrêt sur la route des rêves ? David Lynch ne propose rien de moins que cela à travers son superbe millésime Mulholland Drive. Tragique réflexion sur les ficelles invisibles de la cité des anges, Lynch y ausculte l’amour impossible entre les impériales Naomi Watts et Laura Harring, auquel il faut impérativement dire adieu dans une bouleversante scène de chant du bien-nommé Club “Silencio”. Dans ce no man’s land, meurent tous les espoirs de briller en dehors des normes. Basculant vers un nouveau cauchemar labyrinthique, le maître illusionniste étrille un nouveau pan de l’imaginaire collectif, celui des chignons serrés et regards pervers de producteurs avides de chair fraîche. Un voyage inoubliable au cœur de l’obscurité, derrière la toile du grand écran…
8. ERASERHEAD (1978)
A la fin des années 1970, dans les milieux branchés de New-York, des gens se promenaient avec un badge « I saw it ». Ils avaient eu la chance de voir Eraserhead. Beaucoup de critiques voyaient même en Henry, son personnage principal, une icône punk des années 1970. Mais Lynch n’était guère intéressé par le mouvement, trop occupé à convertir ses rêves et peurs de paternité en film. Peu de gens auront vu le film, sauvé par les séances de minuit et les circuits indés de l’époque. Son premier geste est fou, inoubliable, hanté par Kafka et les relents industriels de la ville qui a vu Lynch faire ses premiers pas d’adulte, Philadelphie.
5. ELEPHANT MAN (1981)
Le deuxième film du réalisateur est une adaptation romancée des mémoires de Frederick Treves, le médecin qui prit en charge Joseph Merrick, « Elephant Man ». C’est aussi le premier projet professionnel de Lynch, qui l’intéressait à double titre : celui d’être produit par Mel Brooks et celui de pouvoir réaliser le maquillage lui-même, ce qu'il ne parviendra finalement jamais à faire. La réussite est totale : Lynch signe une fable intemporelle sur le voyeurisme et l’humanité. Dans la lignée thématique de Freaks et de Frankenstein, Elephant Man démontre déjà le talent total d’un artiste capable de feindre le classicisme pour mieux y placer ses fulgurances.
10. INLAND EMPIRE (2006)
Dans son dernier long-métrage en date, Lynch retrouve Laura Dern pour immerger le spectateur dans son cerveau labyrinthique. Le récit est une forme de puzzle de séquences qui n'ont pas nécessairement de liens narratifs évidents, comme des fragments des obsessions du cinéaste. Déboussolant et démesuré pour certains, hermétique et incompréhensible pour d'autres, Inland Empire est ce film extrême et jusqu'au boutiste qui a signé l'arrêt prématuré des projets de Lynch sur grand écran. Le mystère reste entier.
Images tous droits réservés : Blue Velvet © 1986 De Laurentiis Entertainment Group, Inc. – Twin Peaks: Fire Walk With Me © 1992 Twin Peaks Productions, Inc. – Sailor et Lula © 1990 PolyGram Filmproduktion GmbH – Lost Highway © 1996 Lost Highway Productions, Inc. – Dune © 1984 Dino De Laurentiis Corporation – Une histoire vraie © 1999 The Straight Story, Inc. – Mulholland Drive © 2001 Le Studio Canal Plus – Eraserhead © 1976 David Lynch – Elephant Man © 1980 Brooksfilms Limited – Inland Empire © 2006 Inland Empire Productions, Inc.