Né le 2 août 1935 à Pribram, Tchéc., et disparu le 20 mai 1989 à Prague, il commence sa carrière par deux courts, plus exactement un court Black and White Sylvia (1961) et un moyen Joseph Kilian (1963), tous deux coréalisés avec Jan Schmidt. Si le premier reste inconnu, le second, superbe adaptation de Kafka, sans doute une des plus justes jamais tournées, fit les beaux jours des ciné-clubs des années 60 et connut une audience internationale bien plus grande que dans son pays d'origine, où son exploitation fut confidentielle. À l'image de son premier film en solitaire, Chaque jeune homme (1966), qui, malgré son Grand Prix au Festival de Karlovy-Vary, fut à peine distribué en Tchécoslovaquie.
Il dut attendre 1969 pour pouvoir tourner un scénario longtemps concocté, Gulliver, qui deviendra Un cas pour un bourreau débutant, titre étrange pour un film qui ne l'est pas moins, et qui aurait tout aussi bien pu s'appeler "Le Voyage vers un ailleurs", "Les Défenseurs des fontaines" ou "Le Silence de Balnibarbi", pour reprendre quelques intitulés des chapitres.
Juráček revendique l'héritage de Swift et de deux épisodes des Voyages de Gulliver, les séjours à Laputa et à Balnibarbi, moins célèbres que Liliput. Mais tout autant que chez Swift, Juráček trouve son inspiration chez Lewis Carroll, depuis le lièvre porteur d'une montre de gousset jusqu'au tunnel qui permet l'entrée (et la sortie) du pays des merveilles.
Tout le film obéit constamment à la logique du rêve éveillé qui conduit la jeune Alice d'une épreuve à l'autre : Monsieur Gulliver, tombé dans cette contrée étrange qu'est Balnibarbi, où les montres marchent à l'envers, où l'on ne parle pas le lundi pour économiser l'air et où l'on a supprimé le mois de novembre par crainte de la grippe, va devoir affronter des personnages au comportement décalé, des rituels étranges, des événements incompréhensibles – jusqu'à ce procès truqué qui le destine à la peine capitale, exécutée par une machine à manivelle digne des inventions de Tinguely, maniée par un bourreau débutant (d'où le titre). Faux procès, comme il y en eut tant dans la Tchécoslovaquie des années 50, fausse exécution, comme ce fut loin d'être toujours le cas.
Le passage à Laputa, morceau de territoire flottant au-dessus de Balnibarbi, où séjourne, avec sa cour, le roi des deux territoires, constitue une épreuve supplémentaire dont Gulliver sortira sans encombre, quoique malmené. Il y aura rencontré quelques créatures féminines, Niké, la princesse blonde qui le renvoie à son amour ancien, Dominique, l'hétaïre brune qui lui offre une nuit de plaisir. Et un monde aussi inversé que celui d'en bas, dans lequel les puissants portent en réalité des masques. On peut chercher des significations secondes à bien des épisodes et bien des personnages.
On peut aussi y voir l'influence du très fort courant, s'appuyant sur l'imaginaire et l'absurde, qui parcourt la littérature tchèque, via Kafka évidemment, mais aussi Hasek et les surréalistes, Nezval, Styrsky, Teige et dont Jan Svankmajer constitue l'ultime bourgeon. Chaque plan (magnifique photographie de Jan Kalis) de la ville déserte où débarque Gulliver résonne d'une étrangeté digne des tableaux de Chirico ou de Paul Delvaux.
Le film fut interdit dès sa sortie – fut-il vu même ? Il fit partie de la charrette qui fit passer à la trappe, en 1970, en pleine "normalisation", tout ce qui pouvait prêter à interprétation malivole, films de Menzel, de Schorm, de Jasny, de Bocan. Un cas… n'était pourtant pas porteur de la charge politique de L'Oreille de Kachyna, mais les territoires mystérieux qu'il explorait pouvaient déceler quelques doubles fonds que les censeurs auraient sans doute été bien en peine de décrypter, mais qu'il convenait de faire disparaître.
Le film passa aux oubliettes, avant de ressurgir en 2009 au Festival de Pilsen, en République tchèque. Mais Pavel Juráček était mort depuis vingt ans et son Bourreau débutant constitue, hélas, la dernière trace de son activité dans le cinéma tchèque.
Lucien Logette